Pierre Baumann, artiste plasticien: sculptures, photographies, dessins et écrits.

Å’uvres

I would prefer not to... # 2010

Artiste en résidence Centre d'art Axénéo 7 - Gatineau - Quebec - mars 2010.


avec les participations de Christophe Baudson - Frédérique Baumann - Hans Birkemeyer - Alain Chareyre-Méjan - Nicolas Desplats - Nicolas Frespech - Sébastien Galland - Michel Guérin - Christophe Lopez - Miguel Angel Molina - Diane Watteau

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bientôt

Comment j'ai occupé mon temps...

Je suis venu ici avec le projet de poursuivre l'écriture d'un roman, dont le sujet est une série de considérations sur l'optique et sur les modes de production des Å“uvres, un roman qui n'en finit pas de s'écrire et qui semble au fil du temps se forger au conditionnel. Un peu comme Barthes proposait de réfléchir à la question sur ce même mode conditionnel, mon activité à Axenéo 7 s'est mise en place avec la ferme intention de faire de ce séjour « une préparation au roman », une collecte de présomptions qui devraient contribuer à l'achèvement de ce projet.

En même temps, et pour diverses raisons (activité professionnelle complémentaire que les artistes connaissent bien, vie de famille, fausses excuses en somme), j'ai toujours préféré ne pas tout à fait honorer les ambitions de ce programme. L'écriture n'est pas chose facile et ma lecture de la nouvelle de Melville, Bartleby le scribe, puis de Bartleby et Cie d'Enrique Vila Matas l'été dernier, s'était trouvée là comme la malheureuse caution d'une procrastination (fait de remettre au lendemain, terme qui m'est soufflé par un ami dont le nom est en lui-même un roman : Miguel Angel Molina), dont la barbarie du mot n'avait d'égal que ma cruauté à reléguer dans l'angle mort de la raison ma vraie mise au travail. Chaque jour était le prétexte à autre chose, histoire de cultiver le temps perdu (perdu pour le roman).

Le livre de Vila Matas se construit comme une série de notes de pied de pages sur tous ces littérateurs qui décidèrent un beau jour de ne plus écrire ou s'y refusèrent avec pugnacité, Salinger, Rimbaud, Duchamp, Kafka et bien d'autres. L'ouvrage prend racine dans la nouvelle de Herman Melville, Bartleby le scribe, dont la vie dévouée à l'écriture réduite à son degré zéro parce que copie, se trouve peu à peu destituée de toute action par la plongée dans un autre conditionnel, encore plus radical que celui de Barthes : « I would prefer not to... » répond immanquablement Bartleby à toute proposition qui lui est faite. La conversion du refus par la préférence d'une négation (« Je préférerais ne pas... ») fonde de façon inaugurale tout le dilemme de la littérature (et de l'art) arrêtée, qui se refuse d'établir des choix, d'asseoir des positions ou encore d'affirmer son inaction. Ce conditionnel là, emprunt d'un scepticisme profondément aporétique, en cela qu'il exprime à la fois l'embarras et la contradiction, conçoit un nouveau mode d'existence et une topologie littéraire qu'on dirait presque purgatoire. Comment l'existence peut-elle s'accommoder de réticences ? Et comment moi chaque jour puis-je concilier mon hyperactivité de nature au temps perdu ?

Or c'est bien aussi ce temps perdu qui fait l'objet de mes préoccupations, dont la plus merveilleuse des dépenses est illustrée, par la conclusion lapidaire, magistrale et réputée de Proust dans A la recherche du temps perdu, à la fin du Temps retrouvé. Proust, à l'issue de ses quelques milliers de pages, clos son récit par l'annonce d'un roman, qui pourrait alors s'écrire et qu'il n'a pas écrit... Certainement parce que dans la fiction le narrateur n'est pas tout à fait l'auteur, mais aussi parce que l'auteur a tué son temps à écrire une autre formule hypothétique de roman, celle qu'on a lu.

En arrivant à Axenéo 7, j'ai donc établi quelques petites activités destinées à faire de moi un parfait Bartleby : faire un dessin au mur, accrocher des images, construire une sculpture, envoyer quelques courriels et faire des trous ici ou là pour partir à la chasse de l'espace..., toute une série d'occupations conscientes que leur inachèvement et l'insouciance de leur mise en Å“uvre restent de première nécessité. Faire de l'art pour ne pas avoir à faire autre chose.

(...)

projet présenté dans le cadre de l'exposition Blind Spot avec Sylvain Baumann et Florine Leoni du 24 mars au 02 mai 2010

 


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